Cuba est un corps malade parce que gravement déçu par sa tête qui lui avait promis de changer la vie. Comment oublier pareille promesse quand l’esquisse de sa réalisation a circulé dans vos organes ? Ce fut le début d’un bonheur qui s’est transformé en poison, et l’empoisonnement a infecté les membres, les actions, les pensées, les relations si bien que tout l’organisme s’est pris lui‑même en horreur. L’existence est désormais de plus en plus coupée de sa propre vitalité, tandis que la tête continue à s’agiter dans l’illusion d’animer un corps qui lui est étranger… On connaît cette situation, mais de loin, abstraitement. On ne l’avait jamais éprouvée avant ce livre de Laurine Rousselet qui nous la fait ressentir physiquement. Sa force vient du partage de la vie quotidienne et, plus mystérieusement, d’une solidarité organique avec le corps collectif cubain. Il y fallait une écoute patiente, une attention aux nuances de la perception et de la communication non verbale et, surtout, une langue sensible à l’empreinte de l’Autre.
Bernard Noël
Éditions Apogée, collection « Piqué d'étoiles », avril 2010.